Addendum
Une amitié
Cai laoshi et Xu Wenjing 徐文鏡
Une amitié
Luthier à ses heures* et producteur d’une pâte vermillon utilisée pour imprimer les sceaux (印泥 yin ni) d’excellente qualité, Xu Wenjing 徐文鏡 (1895-1975), grand aîné et ami de Cai laoshi, commença à perdre la vue au début années ’50. Sept ans plus tard, il était totalement aveugle.
Après son arrivée à Hong Kong, en 1949, cet artiste complet, aussi bon peintre et calligraphe que remarquable musicien, auteur d’un célèbre ouvrage d’épigraphie, avait, dès 1952, entrepris de noter ses souvenirs de jeunesse sous forme de brefs poèmes.
«Playing qin in the mountains»
peinture de Xu Wenjing
offerte à Robert Van Gulik
(cliquer sur l’image pour l’agrandir).
Cent poèmes en souvenir du Lac de l’Ouest
徐文鏡—西湖百憶
Ayant lu les quatrains que Xu Wenjing avait consacrés au Lac de l’Ouest, ses admirateurs encouragèrent vivement le poète à les publier. Ses yeux, malheureusement ne lui permettaient plus de s’atteler à la correction des épreuves, aussi il demanda à Cai laoshi de faire ce travail à sa place. Elle accepta avec joie, mais en cours de route, elle tomba littéralement amoureuse de cet étonnant ensemble qui, en plus de sa beauté intrinsèque, lui faisait découvrir par le menu des paysages trop rapidement visités dans son enfance et déjà un peu oubliés. «En lisant ce recueil de poèmes, les endroits vus naguère ressurgissent en moi, un à un, comme sortant d’une peinture. Je m’y promène, je m’y attarde et fais le plein de l’émotion qu’ils véhiculent.» Elle décida alors qu’elle allait calligraphier l’ensemble du recueil, commentaires compris.
Précédé de deux poèmes de Ma Jian 馬鑑(1883-1959), grande figure de l’Université chinoise de Hong Kong à l’époque, ce travail fut couronné par un prix de calligraphie. Une fois publié, il fut distribué aux amis de l’auteur.
* Xu Wenjing était loin d’être un débutant en matière de lutherie; il avait été initié à cet art par des maîtres sur le continent. Alors que sa vue commençait à l’inquiéter sérieusement, il fit la connaissance d’un artisan cantonais auquel il décida de livrer ses secrets. Choi Chang-sau était encore jeune à l’époque, mais, fasciné par l’enseignement du vénérable lettré, il appliqua ses recettes et, par la suite, finit par construire de nombreux instruments — une aubaine pour des générations de musiciens!
Nous avons bénéficié, Lau Chor-wah et moi-même d’une telle chance peu de temps après le début de nos cours avec Cai laoshi. Nos exercices jusque là étaient effectués sur des instruments d’une facture très approximative: caisse trop creuse, couverte d’un verni synthétique brillant, table d’harmonie irrégulière, marques d’harmoniques ne correspondant pas aux noeuds qu’elles étaient censé indiquer… Quel contraste avec le bel instrument des Song sur lequel nous enseignait notre maître!
«Cent poèmes en souvenir du Lac de l’Ouest» Titre de l’ouvrage, suivi du nom de l’auteur, Xu Wenjing, (1895-1975), et de ses sceaux. Écrits au pinceau par l’artiste alors qu’il était déjà aveugle. L’irrégularité de ces quelques caractères donne à l’inscription une saveur toute particulière.
À côté:
les deux premiers des cent quatrains calligraphiés par Cai laoshi.
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曙色猶籠柳色新
十年又見六橋春
而今最憶蘇提畔
紫燕黃鸝似故人
PREMIER QUATRAIN
Lueurs de l’aube sur les saules qui verdoient
Je retrouvais la Digue et ses six ponts après dix ans d’absence
Quand je repense à ces lieux, ce qui me manque le plus aujourd’hui,
Ce sont mes amis d’alors: l’hirondelle et le loriot
Ce poème écrit en vers de sept syllabes — premier d’un cycle de 109 quatrains—évoque avec délicatesse un des paysages les plus célèbres du lac de l’Ouest, la digue de Su Dongpo.
Réminiscences sereines, ces textes évoquent des lieux aimés et longtemps habités par le poète, avant qu’il ne séjourne à Shanghai, puis à Nankin et à Canton, avant son exil final à Hong Kong. Ces poèmes révèlent une très vive sensibilité et une prodigieuse mémoire visuelle.
L’abondante annotation qui accompagne les poèmes permet au lecteur de se familiariser avec la topographie des rives du lac ainsi qu’avec son histoire millénaire.
Postface aux «Cent poèmes en souvenir du Lac de l’Ouest» de Xu Wenjing
Dans sa jeunesse Mr Xu a longtemps vécu au bord du lac de l’Ouest. Imprégnés du souffle de l’endroit, ses poèmes et ses peintures, sont d’une grande élévation. Malheureusement, ses yeux l’empêchent désormais de peindre. Seuls un texte en prose ou sa poésie lui permettent encore d’exprimer ce qu’il porte en lui. Dans ses poèmes, l’émotion est continue, elle s’élève et circule par delà les mots.
Encore enfant, j’ai, moi aussi, visité Hangzhou, mais j’étais toujours accompagnée et n’ai pas vraiment pu jouir du paysage. De plus, ces souvenirs anciens se sont un peu estompés. En lisant ce recueil de poèmes, les endroits vus naguère ressurgissent en moi un à un, comme sortant d’une peinture. Je m’y promène, je m’y attarde et fais le plein de l’émotion qu’ils véhiculent. «Nos excursions d’antan, on peut les retrouver, mais pas le coeur de nos jeunes années».
Il est souvent dit que dans les poèmes de Wang Wei il y a de la peinture et dans sa peinture, de la poésie. Pour moi, cela vaut aussi pour les oeuvres de Mr Xu.
Ses amis, qui apprécient sa poésie, voudraient la voir un jour publiée, aussi m’ont-ils chargé de collationner ses poèmes. Je les ai également calligraphiés.
Tsar Teh-yun, automne 1956