Addendum

Cordes (suite)

Ces cordes qui transforment un instrument…

Un instrument un peu négligé

Le Jeune Laloy

Ces cordes qui transforment un instrument…

神之所暢, 孰有先焉?
«Y a-t-il chose meilleure que celle qui nous épanouit?»

Zong Bing 宗炳 (375-443)

Petit musée des cordes de soie

Petit musée des cordes de soie. En-bas à gauche, un jeu de cordes de la fin du 19e siècle

J’ai longtemps collectionné les cordes de soie, encore très rares à l’époque où je débutais l’étude du qin.

En observant un jour un qin ancien ramené de Chine vers la fin du 19e siècle par un missionnaire alsacien, je suis resté en arrêt devant ses cordes toujours intactes. L’instrument lui-même ne présentait pas d’intérêt particulier, mais ses cordes, d’une grande finesse, me fascinaient.

Jeu de cordes de la fin du 19e siècle

Jeu de cordes anciennes de l’instrument de Mulhouse.

Bien que lâchement tendues, elles étaient encore au complet. Le filage des graves, particulièrement dense et régulier, luisait doucement et semblait être d’une solidité à toute épreuve.

Je ne pus résister à la tentation de retendre la septième corde qui, non seulement, résista à cette tension retrouvée, mais sonnait encore avec une grande clarté. Je ne menai pas plus loin mon investigation de peur d’abimer ces cordes vénérables qui avaient traversé tant d’années, mais le souvenir de l’admirable filage des graves et de la finesse de l’ensemble ne me quitta plus.

C’est en écoutant «les incunables» et en pensant à ces cordes retrouvées en France que je demandai à Monsieur Hidekazu Hashimoto d’essayer des gabarits toujours plus fins: les «special thin edition» 特細 tout d’abord, suivis maintenant des «extra thin edition» 極細 dont les cordes fines font merveille, aussi bien sur mes instruments légers que pour faire vibrer le plus lourd de mes instruments (pour des musiciens venant des cordes métal, habitués au son profond des graves, la tentation a longtemps été de renforcer l’épaisseur des premières cordes en soie; mais ce que l’on gagne en puissance on le perd en finesse et en réactivité).

Ce produit de qualité a un prix. Il coûte deux à trois fois la somme que paie un étudiant chinois pour acquérir des cordes de soie, ce qui peut faire réfléchir. Le musicien aguerri n’hésitera probablement pas à faire l’investissement étant donné la robustesse de ces cordes, malgré leur finesse. Mais aussi en raison de leur remarquable «shou gan» 手感 (contact des doigts sur les cordes).

Étonnamnent, ces cordes fines sonnent fort bien lorsqu’elles sont accordées relativement bas.

Marusan Extra-Thin Silk strings

Cordes de soie «Extra thin strings» (極細) de la firme Marusan Hashimoto 丸三ハシモト株式会社

Détail d'une peinture d'après d'époque Song, avec facteur de cordes

Détail d’une peinture d’époque Song, d’après Gu Kaizhi 顧愷之, montrant les différentes étapes de la fabrication d’un qin. On distingue, en haut à droite: le facteur de cordes au travail.

Un instrument un peu négligé.

Le Jeune Laloy, ayant une table d’harmonie plutôt consistante, je lui avais mis des cordes épaisses. Jamais vraiment convaincu du résultat, j’avais fini par le délaisser au profit du Vieux Laloy, un instrument plus ancien au potentiel remarquable.

Récemment, comme il me restait un jeu de cordes extra-fines de Marusan, je les ai montées sur le Jeune Laloy juste pour essayer. Le résultat fut surprenant.

Il m’a suffi d’entonner «Les trois variations sur les fleurs de prunier» (梅花三弄 Meihua sannong) pour constater que l’instrument chantait autrement. Ensuite ce furent de longues séries d’harmoniques suivies de «En pensant à un ami» (憶故人Yiguren)… l’instrument réagissait toujours à la moindre sollicitation, et ce, avec la même réjouissante présence: des graves plus souples, plus mordantes et dans l’ensemble, une sonorité plus expressive.

Photo du Qin Le Jeune Laloy, cordes montées

Cordes extra-fines de la firme Marusan Hashimoto, montées sur le Jeune Laloy (ci-dessus) et sur le Vieux Laloy (ci-dessous).

Photo du Qin le Vieux Laloy, cordes montées

Les cordes de Marusan savent se faire oublier.

Reprenant la vieille idée d’un qin sans cordes*, le poète taoïste Bo Yuchan, 白玉蟾 (1134-1229) décrit ainsi l’aisance du jeu:

Mes doigts oublient les cordes,
Au gré des marques d’harmoniques, les sons se transforment.

J’ai soudain l’impression de jouer un qin sans cordes.

Et sous mes doigts, une à une, les notes éclosent d’elles-même.

無題
弦指相忘
聲徽相化
其若無絃者
指下徽徽透

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* Il y a, sur ce sujet, toute une littérature qui mériterait tout un chapitre à elle seule.