Addendum
TRANSCRIPTIONS
Soheil Azzam
LIUSHUI XINGYUN - ZHOU MING (Audio)
Par Zhou Ming, guzheng
TRANSCRIPTIONS
Georges Goormaghtigh
Chunjiang huayueye (AUDIO)
Par Wei Zhongle, pipa
Xunyang yeyue (AUDIO)
Ensemble traditionnel, Shanghai
Chunjiang huayueye (AUDIO)
Par Chen Changlin
TRANSCRIPTIONS
LIUSHUI XINGYUN 流水行雲
Soheil Azzam
En 1985, après un séjour de trois mois en Chine et à Hong Kong, je retournais en Suisse avec, dans mes bagages, un grand nombre de cassettes de musique achetées au gré de mes déplacements. Il n’avait pas été possible de les écouter avant l’achat, mais le prix à payer était tellement bas pour un Européen que le seul risque que je courais était celui de faire quelques heureuses découvertes.
Parmi ces cassettes rapportées, il y en avait quatre qui sortaient nettement du lot. Deux cassettes de l’ensemble de «soie et bambou» de la célèbre maison de thé Huxinting, à Shanghai, une cassette sans nom d’interprète, illustrée d’une peinture paysanne et annonçant, sous le titre «漁歌 (Yuge) / Song of the Fishermen», de la musique instrumentale traditionnelle (mon ami Georges Goormaghtigh n’a pas eu de mal à reconnaître, derrière ces pièces anonymes, quelques uns des plus grands noms de la musique de qin: Guan Pinghu, Zha Fuxi et Pu Xuezhai), et enfin une cassette de guzheng achetée à Hong Kong — un guzheng que son interprète hissait au niveau des plus belles musiques de qin.
À gauche, première des deux cassettes enregistrées par des musiciens de la maison de thé Huxinting 湖心亭 à Shanghai en 1986, d’où est extraite la pièce Xuanyang yeyue un peu plus bas sur cette page. / Au centre, cassette anonyme, bel exemple des détours utilisés par les amateurs pour donner accès aux classiques du qin en Chine Populaire. / À droite, cassette de guzheng par Zhou Ming, d’où est extraite la deuxième version de Liushui xingyun ci-dessous.
Liushui xingyun 流水行雲
La pièce la plus belle de cette cassette, 流水行雲 Liushui xingyun (Eaux qui coulent et nuages qui passent), est l’œuvre de Shao Tiehong 邵鐵鴻 (1914-1982), musicien, compositeur, chanteur et comédien, auteur de plusieurs pièces connues du répertoire de musique traditionnelle cantonaise.
Shao Tiehong 邵鐵鴻 interprète ici un air de sa composition, 平步青雲 (Mon ascension dans la vie), dans le film 彩鳳引金龍 (Le Phénix chatoyant attire le Dragon d’or).
L’interprétation de Liushui xingyun par son créateur est telle qu’on peut l’attendre pour ce genre de musique: légère, plaisante, agréable.
Liushui xingyun 流水行雲 (version originale) · 04:14
Zhou Ming en fait tout autre chose. Dès les premières notes il installe un climat de méditation, de suspension, on flotte au niveau des nuages qui passent et on retient son souffle. Cela s’est déjà produit par le passé: une musique populaire, ou une chanson, est reprise au qin par un lettré et devient une pièce classique de la musique de qin.
Liushui xingyun 流水行雲 · 03:54
Nous rêvions, Georges et moi, d’assister à une métamorphose de ce genre. Pour Georges, un seul musicien en était capable: Chen Changlin, à Pékin, qui avait déjà merveilleusement transcrit pour le qin une des pièces les plus connues de la musique populaire traditionnelle: Chunjiang huayueye 春江花月夜.
De retour en Chine, en 1986, pour un séjour de deux ans, j’ai racheté cette cassette à Hong Kong et je l’ai portée à Chen Changlin. L’entrevue a été courtoise mais brève. Il est vrai que mon niveau de chinois ne m’aurait pas permis à ce moment d’engager une conversation approfondie sur un sujet tel que la musique. Nous avons échangé quelques mots, je lui ai remis la cassette et une lettre de Georges, puis il m’a raccompagné.
Nous ne savons pas ce qu’il en a pensé, il n’y a pas eu de retour de courrier, ni à l’époque ni plus tard. Mon plus grand espoir serait qu’il ait bien fait cette transcription mais que, pris par des affaires plus urgentes ou préoccupé par des soucis de santé, il ait simplement oublié de l’envoyer à Georges. On peut toujours rêver.
On peut en tout cas continuer de rêver en écoutant l’interprétation de Zhou Ming — qui prouve qu’en musique la vraie noblesse ne vient pas de l’instrument, mais du musicien.
TRANSCRIPTIONS
CHEN CHANGLIN 陳長林
Georges Goormaghtigh
Toute transposition et transcription d’une mélodie, même entre instruments à cordes de la même famille (les cithares zheng et qin par exemple), pose toujours des problèmes. Il n’a cependant pas manqué de musiciens en Chine pour opérer avec succès ce genre de passage. Nombreux sont les joueurs de guzheng à avoir adapté des mélodies de qin.
En sens inverse, l’adaptation au qin d’une mélodie de guzheng est plus difficile et donc assez rare. Cela non seulement à cause de la technique de jeu très spéciale du qin, mais aussi et surtout en raison de l’esthétique plus austère de la «cithare des lettrés», instrument réputé noble.
Bravant l’indifférence générale qui accompagne souvent de tels efforts, un jeune musicien, amateur de musique traditionnelle, mais aussi excellent joueur de qin, tenta en 1958 de transposer pour son instrument un morceau de pipa très célèbre qu’il aimait beaucoup: «Nuit de lune sur le fleuve au printemps» (春江花月夜, Chunjiang huayueye) sur un poème de Zhang Ruoxu 張若虛 des Tang.
À l’origine jouée au pipa solo, cette mélodie s’intitule également Xiyang xiaogu 夕陽簫鼓 ou encore Xiyang xiaoge 夕陽簫歌, Xunyang pipa 潯陽琵琶, Xunyang yeyue 潯陽夜月 et Xunyangqu 潯陽曲. Elle fut adaptée en 1925 pour orchestre traditionnel par Liu Xiaozhang 柳曉章 et Zheng Jinwen 鄭覲文de l’association de musique Datong de Shanghai (上海大同樂會).
Chunjiang huayueye 春江花月夜 · 10:02
Xunyang yeyue 尋陽夜月 · 11:34
Le poème de Zhang Ruoxu, qui se présente en neuf sections de quatre vers à sept pieds, est un long déroulement mélodique qui suit le cours du fleuve éclairé par la lune — de son lever jusqu’à l’instant, poignant où, derrière les arbres de la rive, le disque lunaire sombre à l’horizon — renforçant encore le sentiment de mélancolie qui habite une femme dans l’attente de l’être aimé. Le ton est tour à tour lyrique, plein d’images évoquant les reflets de la lune sur l’eau du fleuve, et philosophique: «Qui, sur ces berges, le premier, vit la lune? […] D’âge en âge les générations se suivent, année après année lune et fleuve se ressemblent…»
Je n’ai jamais retrouvé la version de cette étonnante et superbe transcription que Chen Changlin avait enregistrée avant la Révolution culturelle, mais son récent coffret de huit CD (Chen Changlin guqinzhuanji) édité en 2013, comporte une très belle interprétation de cette œuvre datée de 1990. Jouée sur cordes métal — cordes qui se prêtent bien, ici, à la mise en valeur du potentiel expressif de la transposition instrumentale — cette version d’une grande virtuosité représente, sur le qin, un véritable défi.
À écouter la maîtrise avec laquelle est exécuté ce tour de force, on se rend compte qu’on est en présence d’un grand musicien.