Addendum
LETTRE D’UN AMI
Lettre de Pierre Ryckmans
Lettre d’un ami
Lettre de Pierre Ryckmans, 8 avril 2013
Pierre Ryckmans a rencontré Cai laoshi lors d’un passage à Hong Kong le 15 février 1980. Ce jour là, il put lui remettre en mains propres les manuscrits de son maître, Shen Caonong. Ces précieux documents m’avaient été confiés l’année précédente lors d’un séjour en Chine et attendaient toujours d’être acheminés vers leur destinataire.
Les trois caractères de la onzième ligne de cette lettre désignent respectivement les pinceaux calligraphiques en «poils de chèvre» yang hao et ceux en «poils de loup» langhao.
Quant aux quatre caractères de la treizième ligne, lianshou huansheng, ils font allusion à une expérience souvent évoquée par les peintres chinois que Pierre Ryckmans résume ainsi dans son ouvrage sur Shitao : «Trois degrés successifs sont distingués dans le développement d’un artiste: au commencement, son métier est «cru, fruste, primitif» sheng ; à force de pratique, il devient «mûr, habile» shou ; au sommet de son art, lorsque l’artiste possède si parfaitement la maîtrise de son métier qu’il peut l’oublier, il redevient capable de spontanéité fruste et primitive sheng.»
Le post scriptum est une remarque particulièrement éclairante sur un des sens du mot ni qui m’avait échappé.
Canberra, 8 avril 2013
Cher Georges,
Merci de m’avoir envoyé Le grain des choses — c’est un très beau texte, et la forme que tu as adoptée (touches fragmentées discontinues) est particulièrement appropriée: elle évoque la réalité vivante d’une personnalité singulièrement profonde, originale et riche, bien mieux que ne pourrait le faire une conventionnelle notice biographique… J’espère bien que tu publieras cet émouvant témoignage. En tout cas, en attendant, j’ai glissé ces pages dans ton volume sur L’art du qin : il y forme un complément naturel…
— En passant, je suis frappé encore une fois par la façon dont l’esthétique du pinceau et celle du qin se recoupent et s’éclairent mutuellement (le parallèle / contraste entre 羊 / 狼豪 et cordes de soie / cordes métalliques! *). Et aussi la notion 练熟还生: on part du primitif naïf pour atteindre le mûr-élaboré — mais le vrai couronnement est de retrouver la naïveté spontanée (nourrie au préalable de toute une maturité élaborée. Picasso: «À douze ans je dessinais comme Raphaël et j’ai mis une vie entière apprendre à dessiner comme un enfant.»
Le rapport maître-disciple (sur lequel ton essai apporte un émouvant témoignage) est lui-même un grand sujet, dont le monde moderne a entièrement perdu la notion (le dernier mot du «progrès» est maintenant — à l’université !! — de substituer l’information électronique à la communication humaine enseignant-étudiant…).
Avec toute mon amitié
Pierre
P.S. En épigraphe tu as donné une traduction particulièrement habile et élégante du superbe poème de Su Dongpo. Une question seulement: je ne crois pas qu’il soit correct de traduire 雪泥 par «neige mêlée de boue» — il faudrait simplement mettre (il me semble) «neige» — (au sol, par opposition aux flocons qui volent). 泥 a le sens particulier de toute matière susceptible de recueillir une empreinte — ainsi, par exemple, le vermillon que l’on emploie pour imprimer les sceaux s’appelle 印泥 (aucune connotation de «boue»).
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* et d’ailleurs Cai laoshi était une remarquable calligraphe.